Journée d’étude
15 septembre 2020
Université du Québec à Montréal
Marquée dès ses débuts par le bouleversement graphique de la caricature, la Révolution française a été gravée, peinte et dessinée au fur et à mesure de sa tumultueuse évolution. Cette mise en récit immédiate par l’image aboutira à une riche iconographie où s’affronteront l’idéalisation antiquisante, le goût du « détail vrai » des scènes de genre et le grotesque satirique. De ces tensions iconiques, qui s’ajoutent aux multiples autres tensions qui articulent le processus révolutionnaire, se dégage une série de motifs qui seront progressivement assimilés (et domestiqués) par une tradition qui, au travers notamment du livre illustré (et en parallèle au triomphe de l’art pompier), nourrira les manuels scolaires et, plus timidement, la littérature pour la jeunesse. Lorsque la bande dessinée deviendra le relais médiatique de cette dernière, elle héritera d’un double carcan, iconographique et didactique, qui conditionnera longtemps son traitement du sujet, d’autant plus timoré que d’autres processus révolutionnaires viendront s’en réclamer.
Au-delà des visées pédagogiques qui font du nouveau médium un moyen de compléter et de corroborer le récit scolaire de la Révolution tel que consolidé par la IIIe République (un récit dont témoignera en 1977 le 15e volume de la célèbre Histoire de France en bande dessinée de Larousse), l’imaginaire graphique de la Révolution va essaimer, sous l’impulsion des récits de cape et d’épée, le genre de l´aventure historique (1). Ainsi le Journal de Spirou propose-t-il, dans sa rubrique « Les Belles Histoires de l’oncle Paul », la série Comment naquit la Marseillaise dès 1953. Avec le triomphe du genre dans les années 1980 (qui prolonge l’engouement général pour les fictions historiques, corollaire d’un certain retour vers l’histoire narrative après des décennies nettement hostiles à celle-ci), on voit défiler des séries qui, préparant et accompagnant le Bicentenaire, témoignent d’une esthétique encore proche de l’académisme scolaire (Cothias alterne ainsi des ouvrages pédagogiques avec des sagas comme La marquise des Lumières, 1987-1996) (2).
Il faut attendre les années 2010 pour qu’un vent de renouveau souffle sur la Révolution graphique, s’affranchissant du lourd héritage scolaire et pompier, avec des œuvres aussi variées que l’Olympe de Gouges de Catel et J. L. Bocquet (2012), la saga manga Innocent de Sakamato (2015) ou Liberté, le premier tome de la trilogie Révolution de Florent Grouzael et Younn Locard (2019). Cela est d’autant plus significatif que la décennie antérieure aura surtout exploré les révolutions avortées, comme le signale une liste très hétéroclite de soixante-huit titres marquants où la Commune éclipse totalement son ancêtre (3).
Il s’agira, dans cette journée d´étude, d’analyser ces phénomènes à partir d’un éventail de questions. Comment la bande dessinée permet-elle d’explorer sous un jour nouveau le legs historique des révolutions et, partant, le phénomène révolutionnaire lui-même? Comment témoigne-t-elle de l’évolution des imaginaires graphiques des différentes révolutions et des imaginaires sociaux qui les informent? Se tourner vers les révolutions du passé détourne-t-il le récit graphique des mouvements contestataires du temps présent ou permet-il plutôt de situer ceux-ci dans un horizon plus large? Le legs révolutionnaire est-il inévitablement condamné au carcan du genre historique ou peut-il, sur le mode de l’hantologie derridéenne, inquiéter d’autres genres?
La journée d’étude aura lieu le 15 septembre 2020 à l’UQAM et se tiendra en présence de Younn Locard, co-auteur de Révolution. Les propositions de contribution (environ 300 mots), accompagnées d’une brève notice biobibliographique, devront être envoyées avant le 25 mai 2020 à l’adresse suivante : grhs@uqam.ca
Comité d’organisation : Pascal Bastien, Antonio Domínguez Leiva et Geneviève Lafrance, avec le soutien du Groupe de recherche en histoire des sociabilités (GRHS) et Figura, le centre de recherche sur le texte et l’imaginaire.
Comité scientifique : Pascal Bastien (UQAM), Antonio Domínguez Leiva (UQAM), Geneviève Lafrance (UQAM), Pierre Serna (Paris 1 Panthéon-Sorbonne)
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- Pour un bref panorama, voir Paul Chopelin et Cyril Triolaire, « La Révolution et l’Empire en cases. Histoire, bandes dessinées et mangas », dans Philippe Bourdin et Cyril Triolaire (dir.), Comprendre et enseigner la Révolution française. Actualités et héritages, Paris, Belin, 2015, p. 364-370.
- Mentionnons, entre autres titres, Timon des blés de Bardet et Arnoux (1986), Les patriotes de Giroud et Lacaf (1988) et Dampierre de Swolfs et Eric-Legain (1988). L’académisme de cette « bd de qualité » francobelge contraste avec la tentative plus expérimentale de l’ouvrage collectif À l’aube de la liberté (1989).
- https://www.senscritique.com/liste/Ces_revolutions_qui_echouent_en_BD/1959904