La civilisation ottomane dans les récits des voyageuses occidentales au XIXe siècle

Modernisation, transformation, européanisation, laïcisation ou déclin ?

Atelier conjoint APFUCC-ACEF XIX

14-17 mai 2022

Colloque virtuel dans le cadre du Congrès 2022 de l’APFUCC

Date limite pour les propositions : 5 janvier 2022

Comité d’organisation :

François-Emmanuël Boucher, Collège militaire royal, Francois-Emmanuel.Boucher@rmc.ca

Soundouss El Kettani, Collège militaire royal, soundouss.el.kettani@rmc.ca

Jusqu’à quel point un regard extérieur peut-il saisir la nature des multiples dynamiques qui, à un moment historique donné, transforment un empire, modifient un État, bouleversent une civilisation au point d’en refaçonner les mœurs, les habitudes et les idéaux. La présence physique d’un voyageur et, dans les cas qui nous intéressent ici, d’une voyageuse, dans des territoires lointains et souvent étrangers est-elle vraiment le gage d’une connaissance réelle, favorable à saisir les enjeux locaux du fait qu’elle relèverait d’une expérience concrète? Que permet de connaître le voyage? En quoi et pourquoi permet-il de comprendre les autres autrement?  Que nous révèle le récit de voyage à cet égard?

Le but de cet atelier est d’analyser la manière dont les voyageuses occidentales au XIXe siècle rendent compte des multiples mutations qui modifient l’Empire ottoman. Le XIXe siècle ottoman est marqué par les Tanzimat et ne trouvera une véritable clôture que dans la Révolution des Jeunes-Turcs en 1908. L’ère des Tanzimat désigne à la fois un édit impérial (celui du 3 novembre 1839) et une période (1839-1878) qui valorise une modernisation sans précédent de l’État ottoman[1]. En 1847, le marché aux esclaves d’Istanbul est fermé; en 1857 la vente et l’achat d’esclaves, peu importe leur provenance, est interdite. En 1863, le Robert College est fondé à Istanbul ; en septembre 1868, ouvre le lycée Galatasaray[2]. La nouvelle bureaucratie a besoin de fonctionnaires formés à l’européenne, d’une nouvelle élite, de bureaucrates efficaces, de filles et d’épouses scolarisées. Ce qui provient de la dynamique interne de l’histoire ottomane elle-même et ce qui constitue l’apport de l’influence occidentale est évidemment au cœur des débats concernant cette transformation sans précédent dans l’histoire ottomane.

Les textes des femmes qui voyagent dans l’Empire ottoman à cette époque révèlent que ces dernières ne sont pas à l’abri des quêtes occidentalo-centristes des autres voyageurs. Elles aussi veulent y retrouver les vestiges de la gloire gréco-romaine passée et la comtesse de La Ferté-Meun se désole, par exemple, qu’un « misérable hameau turc occupe la place où fut Troie[3] ». Les femmes sont également, bien sûr, sous l’emprise des clichés orientalistes les plus décriés par Edward Saïd[4]. La Baronne Durand de Fontmagne est heureuse d’avoir vu la Turquie « lorsqu’elle commençait à peine à se ‘désorienter[5]’». Elle est nostalgique d’un pays de contes et voudrait que l’Empire oriental s’immobilise. « Que les femmes turques gardent leurs gais féredgés! », soupire-telle, « ce qu’ils font bien dans le paysage[6]! » L’Empire ottoman est à la fois un spectacle et le lieu d’une altérité essentielle. Il a beau se réformer, on y cherche les traces du passé ou celles de la différence.

L’affranchissement de la femme ottomane et sa nécessaire éducation est par ailleurs l’un des thèmes forts qui sert souvent de baromètre pour juger les mutations en cours à cette période. Les voyageuses ont le privilège, contrairement aux voyageurs, de pouvoir pénétrer au sein du harem, « ce sanctuaire mahométan, hermétiquement fermé à tous les hommes[7] ». Raconter le harem est ainsi un passage obligé de ces récits. Dans ce lieu mystérieux, se cristallise pour plusieurs le fantasme orientaliste par excellence, que l’expérience de terrain détruit souvent. Cristina Belgiojoso est désespérée devant les « murs noircis et crevassés, [les] plafonds en bois fendus par places et recouverts de poussière et de toiles d’araignées[8]. »

            Mais au-delà de la désillusion devant un réel prosaïque, le harem est l’occasion d’une affirmation de solidarité féminine et de réflexion sur une modernisation qui laisse de côté les femmes. Les voyageuses les plus enthousiastes pour les projets de la Révolution Jeune-Turque déchantent devant le sort fait à leurs « sœurs[9] ». Michelle Tinayre réalise que « la plupart des Jeunes-Turcs sont Vieux-Turcs en ce qui concerne leur affaire de ménage et tel farouche révolutionnaire, qui se croit très civilisé, s’affole à l’idée qu’un étranger pourrait voir le visage de son épouse[10] ». Elle déplore que les récentes réformes n’ont pas permis aux « prisonnières » de « bris[er] leurs grilles et leurs entraves[11] ». Une forte corrélation se met ainsi en place entre la condition féminine et le jugement que les voyageuses portent sur cette civilisation.

Comment concilier ces écarts entre les idéaux de la voyageuse occidentale et la réalité perçue sur le terrain? Et qu’en est-il de cette perception de l’autre quand semblent seules valables et acceptables les formes les plus pointues d’occidentalisation? Est-il seulement possible de décrire sobrement ce qui se passe alors de l’autre côté de la Méditerranée?

Axes possibles (mais non exhaustifs) de recherche :

  • Discours des voyageuses et discours diplomatiques; similarités et différences
  • Modernité et femmes dans l’Empire ottoman
  • La femme ottomane et l’apprentissage de langues européennes
  • Istanbul et le reste de l’Empire; différence entre l’espace urbain et l’espace rural
  • Analyse d’une auteure, photographe, peintre, en particulier ;
  • La modernisation de l’Empire ottoman en lien avec le débat sur l’orientalisme.
  • Le genre choisi : le journal, l’article de journal, le récit de voyage, le roman, la nouvelle, l’essai (scientifique, politique, ethnologique, etc.), la poésie, etc.

Les personnes intéressées doivent soumettre une proposition de communication (contenant un titre, un résumé de 250-300 mots) ainsi qu’une notice bio-bibliographique (contenant l’affiliation et son adresse, l’adresse courriel) d’ici le 5 janvier 2022.

Les colloques annuels 2022 de l’APFUCC et de l’ACEF XIX seront virtuels et se tiendront dans le cadre du Congrès de la Fédération des sciences humaines. Les personnes ayant soumis une proposition de communication recevront un message des personnes responsables de l’atelier avant le 22 janvier 2022 les informant de leur décision. L’adhésion à l’APFUCC ou à l’ACEF XIX est requise pour participer au colloque. Il est également d’usage de régler les frais de participation au Congrès des Sciences humaines ainsi que les frais de conférence de l’APFUCC. À ce sujet, de plus amples informations seront envoyées aux personnes dont les propositions ont été retenues. Veuillez noter que vous ne pouvez soumettre qu’une seule proposition de communication pour le colloque 2022 de l’APFUCC. Toutefois, il est possible de soumettre une communication dans un atelier conjoint et une autre dans un atelier de votre choix. Toutes les communications doivent être présentées en français.

Vous ne pouvez soumettre qu’une seule proposition de communication pour le colloque 2022 de l’APFUCC. Toutes les communications doivent être présentées en français (la langue officielle de l’APFUCC). 

Bibliographie

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Bhabha, Homi K., Les lieux de la culture. Une théorie postcoloniale, Paris, Payot, 2007.

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[1] Olivier Bouquet, « Du déclin à la transformation. Réflexions sur un nouveau paradigme en histoire ottomane », Revue d’histoire du XIXe siècle, 53, 2016, p. 125.

[2] François Georgeon, « La formation des élites à la fin de l’Empire ottoman : le cas de Galatasaray », Revue du monde musulman et de la Méditerranée, n°72, Modernités arabes et turques: maîtres et ingénieurs, 1994, p. 18.

[3] Comtesse de La Ferté-Meun, Lettres sur le Bosphore ou Relation d’un voyage en différentes parties de l’Orient pendant les années 1816 à 1819, Paris, Domère, 1821, p. 29.

[4] Edward W Said, L’Orientalisme. L’Orient créé par l’Occident, Paris, Seuil, 2005.

[5] La Baronne Durand de Fontmagne, Un séjour à l’ambassade de France à Constantinople sous le second Empire, Paris, Plon, 1902, p. I.

[6] Ibid.,p. 150

[7] Cristina Trivulzio Belgiojoso, Asie Mineure et Syrie : souvenirs de voyage, Paris, Michel Lévy Frères, 1858, p. 2.

[8] Cristina Trivulzion Belgiojoso, op. cit., p. 49.

[9] Adèle Hommaire de Hell, À travers le monde. La vie orientale – La vie créole, Paris, Didier et Cie, 1870, p. 63.

[10] Michelle Tinayre, Notes d’une voyageuse en Turquie, Paris Calman-Lévy, 1909, p.15.

[11] Ibid., p. 13.